Un tigre symphonique

Notes de Programme

Double-ECO,de Bernard Cavanna

pour violon, violoncelle et ensemble

(2014)

Cette pièce reprend deux des quatre mouvements de mon double concerto pour violon, violoncelle et orchestre (2007-2009). Le premier mouvement, porte en sous-titre «en ré» ; il s’agit d’une forme simple en couplet-refrain, où les deux instruments solistes sont pensés comme un seul instrument, sorte d’instrument hybride, à huit cordes, où la virtuosité domine en permanence, dans une gestion difficile de l’archet. Le second mouvement, écrit après la disparition d’Aurèle Stroë (octobre 2008), rend hommage à ce compositeur de génie, amoureux des confrontations complexes et du nombre d’or. Un thème d’accords, composé de tierces, alterne avec des lignes allusives à la Messe de Machaut. Ce thème d’accords se transforme selon des principes utilisés dans les formes anciennes de la musique électro-acoustique (superpositions d’additions ou de soustractions de fréquences, modifications de la vitesse ou de la densité, filtrage des timbres …). A un moment donné, le mouvement se fige sur l’accord caractéristique de double sensible, ponctué de scansions (message codé en morse), puis un dernier mouvement choral, dans une trajectoire ascendante, donné par les solistes, vient clore la pièce.

Raisons de l'être,de Benoît Chantry

La science m'accompagne rarement. Elle me fascine pourtant à travers sa foule de réponses au comment de la vie. Me fascine, mais ne m'émeut pas, car à la question du pourquoi de la vie, elle n'apporte qu'une réponse sèche : nous vivons pour perpétuer notre espèce. La science m'accompagne rarement… mais elle m'offre en revanche un recul qui met en perspective la saveur des réponses apportées par les autres – philosophie, spiritualité, art, introspection ou paroles d'enfant – à la question du pourquoi de la vie. Ces réponses, parfois délicieusement irrationnelles et souvent enivrantes, la musique me permet ici de les évoquer avec davantage de pudeur que ne le permettent les mots.A chaque instant, tandis que notre âme donne à la vie un sens quelquefois vertigineux, nos cellules répètent en silence leur ballet effréné.

Calimerìtad'Ivan Fedele

pour trois voix de femmes et orchestre de chambre

Écrite à partir d'un texte en grico, dialecte grec de la région de Salento, édité par Brizio Montinaro, la pièce Calimerita est une histoire d'amour folklorique classique. Le personnage principal est interprété par un trio de voix féminines qui, en réverbérant et épaississant le texte, donne à l'histoire un chemin un peu plus complexe que ne l'aurait permis une seule voix. La possibilité de doubler une voix et de créer un chœur ou un écho souligne et soutient la trame de l'histoire en capturant à la fois l'émotion du présent et celle du passé. La pièce est divisée en quatre mouvements et suit la structure du texte, souvent symétrique. Il y a donc des répétitions du texte dans les parties acoustiques et électroniques. Le texte chanté s'entend souvent derrière le texte parlé, ce qui crée un subtil contrepoint. De même, les instruments de l'orchestre, et particulièrement les vents, doublentles voixavec fraîcheur en écho aux bribes de la mélodie. La partition utilise aussi le marériau ethnique de la tradition albanaise (le texte parle d'un amour de l'autre côté de la mer), élaborée, multipliée et intégrée à un contexte harmonique extrêmement riche. Une fois encore, la musique qui forme une "mémoire" trouve ses origines dans l'essence même de ses racines populaires. C'est mon tribut à ce fascinant langage, le grico, qui caractérise la culture de ma région natale : Salento.

Cadavre exquis, de Karl Fiorini

Le cadavre exquis est un jeu inventé dans les années 20 à Paris par les surréalistes: chacun des participants imagine à tour de rôle une partie de phrase dans l’ordre sujet-verbe-complément en ignorant ce que le précédent a écrit. Je suis un grand nostalgique de cette époque avec laquelle je ressens tellement d’affinités que je me suis installé à Paris. J’aime m’y promener en bouquinant, et c’est d’ailleurs ainsi que l’idée de cette pièce m’est venue, en descendant les rues de Montmartre. L’envie puissante de travailler avec trois poètes contemporaines dont j’avais commencé à lire les textes a surgi comme une évidence: la Maltaise Claudia Gauci, l’Espagnole Ana Bocanegra Briasco et la Française Emmanuelle Favier. Ma musique reprend le principe du collage à partir de leurs textes choisis, mais aucune des parties de ma pièce n’est une fin en soi. Tout s’y enchaîne dans une orchestration très contemporaine qui mêle des atmosphères qui me sont chères: des échos de Chopin, une harmonie romantique, un lointain souvenir d’un morceau de Bill Evans que j’écoutais en arrivant à Paris, ma langue maternelle, l’espagnol et le français, quelques réminiscences de mélodies maltaises ou de rythmes des Balkans… J’aime les toiles De Chirico qui allient à l’architecture de la Renaissance des objets intemporels. J’ai voulu que ma musique évoque ces paysages d’errance où l’on se retrouve soi-même tout en se sachant autre, hors de l’énonciation et dans la suggestion.

The wave, de Jean-Luc Fafchamps

Ces dernières années, pour un citoyen de ma génération, l'évolution générale de l'Europe - dont nous avions applaudi les premiers progrès - paraît absurde et injustifiable: l'humanité au service de l'économie, l'austérité comme seul remède proposé à tous les maux, malgré les échecs répétés. C'est comme une vague cataclysmique qui croît devant les yeux d'un peuple délibérément paralysé par le désespoir, qui attend placidement qu'elle lui tombe dessus.

Au moment où je finissais cette composition, je découvrais l'article qui suit, comme un écho à mes interrogations. L'auteur, Laurent de Sutter, a accepté que je recopie ces lignes.

La raison délirante de l’Europe, un nouveau fascisme mou?

LIBERATION 10 février 2015

TRIBUNE

Laurent de Sutter: professeur de Théorie du Droit à la Vrije Universiteit de Bruxelles et directeur de la collection "Pespectives Critiques".

"Il est temps d’ouvrir les yeux : les autorités qui se trouvent à la tête de l’Europe incarnent un fascisme nouveau. Ce fascisme, ce n’est plus celui, manifeste et assumé, qui a fait du XXe siècle l’un des grands siècles de la laideur politique ; il s’agit plutôt d’un fascisme mou et retors, dissimulant ses intentions mauvaises derrière un langage qui se voudrait de raison. Mais la raison que manifestent tous ceux qui, aujourd’hui, se trouvent forcés de discuter avec le Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, est en réalité une raison délirante. Elle l’est sur plusieurs plans.

"Premièrement, la raison européenne est délirante sur le plan politique : chaque nouveau geste posé par les autorités de l’Europe (ainsi, en dernier lieu, celui du directeur de la Banque centrale, Mario Draghi) affiche davantage le mépris des principes sur lesquels elle se prétend fondée par ailleurs. En proclamant que les traités européens sont soustraits à tout vote démocratique, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne l’avait pas caché : la démocratie, en Europe, n’est qu’un mot vide. Qu’il ait pointé une réalité juridique (il est vrai que les traités sont négociés entre Etats et non entre populations) n’empêchait pas moins qu’il s’agissait là d’une déclaration de renégat. Non, l’Europe ne vous appartient pas, peuples d’Europe - pas plus qu’elle n’appartient aux gouvernements que vous avez élus, si ceux-ci ne marchent pas au rythme que nous souhaitons lui voir adopter. Tel était le message que Juncker souhaitait faire passer - et qui a été entendu.

"Deuxièmement, la raison européenne est délirante du point de vue économique : ce que les autorités européennes sont en train de réaliser, c’est tout simplement la ruine d’un continent entier. Ou, plutôt : la ruine de la population d’un continent entier - à l’heure où la richesse globale de l’Europe, en tant qu’entité économique, ne cesse de croître. Les autorités économiques européennes, en tentant de tuer dans l’œuf le programme grec, pourtant d’une impeccable rationalité économique, de Yánis Varoufákis, le disent là aussi sans ambages. Ce qui les intéresse, c’est la perpétuation d’un statu quo financier permettant au capitalisme, dans son caractère le plus désincarné et le plus maniaque, de continuer à produire une richesse abstraite. Il n’est pas important que la richesse en Europe profite aux personnes ; en revanche, il est d’une importance croissante qu’elle puisse continuer à circuler - et toujours davantage. Pourtant, qu’en déséquilibrant de manière aussi radicale le système économique européen, les autorités en question risquent d’aboutir à la destruction du système capitaliste lui-même, comme ne cessent de le souligner les analystes financiers, ne leur traverse même pas l’esprit. Car, au bout du compte, il ne s’agit pas vraiment de capitalisme, ni même d’économie ; il s’agit de pouvoir, et de sa pure imposition.

"Troisièmement, la raison européenne est délirante du point de vue de la raison elle-même. Derrière les différents appels au «raisonnable», que le nouveau gouvernement grec devrait adopter, se dissimule en réalité la soumission à la folie la plus complète. Car la raison à laquelle se réfèrent les politiciens européens (par exemple, pour justifier les mesures d’austérité débiles qu’ils imposent à leur population) repose sur un ensemble d’axiomes pouvant tout aussi bien définir la folie. Ces axiomes sont, tout d’abord, le refus du principe de réalité - le fait que la raison des autorités européennes tourne dans le vide, sans contact aucun avec ce qui peut se produire dans le monde concret. C’est, ensuite, le refus du principe de consistance - le fait que les arguments utilisés pour fonder leurs décisions sont toujours des arguments qui ne tiennent pas debout, et sont précisément avancées pour cela (voir, à nouveau, l’exemple de l’austérité, présentée comme rationnelle du point de vue économique alors que tout le monde sait que ce n’est pas le cas). C’est, enfin, le refus du principe de contradiction - le fait que l’on puisse remonter aux fondements mêmes des décisions qui sont prises, et les discuter, possibilité suscitant aussitôt des réactions hystériques de la part des autorités.

"Ce délire généralisé, que manifestent les autorités européennes, doit être interrogé. Pourquoi se déploie-t-il de manière si impudique sous nos yeux ? Pourquoi continue-t-il à faire semblant de se trouver des raisons, lorsque ces raisons n’ont plus aucun sens - ne sont que des mots vides, des slogans creux et des logiques inconsistantes ? La réponse est simple : il s’agit bien de fascisme. Il s’agit de se donner une couverture idéologique de pure convention, un discours auquel on fait semblant d’adhérer, pour, en vérité, réaliser une autre opération. Comme je l’ai suggéré plus haut, cette autre opération est une opération d’ordre : il s’agit de s’assurer de la domestication toujours plus dure des populations européennes - de ce qu’elles ne réagiront pas aux mesures de plus en plus violentes prises à leur encontre. Des gouvernements qui se prétendent démocratiques ont été élus par les différentes populations européennes - mais ce sont des gouvernements dont le programme caché est tout le contraire : ce sont des gouvernements qui souhaitent la fin de la démocratie, car la démocratie ne les arrange pas. Tout le reste n’est que prétexte. Or, ce que le nouveau gouvernement grec tente de réaliser, c’est réintroduire un peu de réalisme au milieu de l’invraisemblable délire politique, économique et rationnel dans lequel baigne l’Europe - donc un peu de démocratie. Mais, ce faisant, il rend apparent l’ampleur de la crapulerie régnant dans les autres pays du continent - et, cela, on ne le lui pardonnera pas."

Embarquement pour l'outre-là, de François Narboni

Le thème musical d'Embarquement pour l'outre-là, ou plutôt le motif de base – non, on peut dire le thème – est lointainement inspiré – très lointainement même car je n'en ai qu'un vague souvenir – de celui-ci du feuilleton américainLa 4e dimension(Twilight zone) que je me souviens avoir vu dans mon enfance. Mais l'ai-je vraiment vu? À vrai dire, nous n'avions pas la télévision à la maison et je ne la voyais que le mercredi après-midi chez mes grands-parents où je n'ai aucun souvenir de La 4e dimension(Zorro, oui, mais pasLa 4e dimension…) Peut-être confonds-je avec le film à épisodes qui en a été tiré dans les années 80 (un film de Joe Dante et…et… je ne me souviens plus des autres réalisateurs [penser à regarder sur Wikipédia]. Ce film-là, je l'ai vu, j'en suis sûr, dans un cinéma rue Saint-André des Arts à Paris, avec H…, ou bien P…? Non, P… est un garçon et c'était avec une fille, j'en suis sûr, donc H… (H… est une fille). Il est possible aussi que le thème me vienne de la version qu'en donne le groupe vocal américain Manhattan Transfer dans le disqueExtensions. Je me souviens du jour où j'ai acheté ce disque – jour lointain car il s'agit d'un vinyle [il faudrait peut-être expliquer ce que c'est aux plus jeunes spectateurs?] – dans un magasin du boulevard Sébastopol. Sur le chemin du retour, je m'arrêtai dans une librairie pour y feuilleter laCorrespondancede Louis-Ferdinand Céline (trop chère pour mes finances d'alors) et tombai sur une lettre ou il liste des projets de titres d'œuvres à venir dont…Embarquement pour l'outre-là. (Embarquement pour l'outre-làest dédié à Raoul Lay.)