Festival LOOP 8 le 1er octobre 2016 : Boyan Vodenitcharov

Quel motif peut avoir aujourd’hui un musicien classique pour s’asseoir et improviser alors que le mot même « improvisation » est devenu presqu’une insulte pour une grande partie du monde de la musique classique ? Et bien, son but ne serait certainement pas d’insulter qui que ce soit, bien que ceux parmi nous qui se sentent irrités, intimidés, dérangés, scandalisés ou indignés par la présence proche de musique improvisée, pourraient dans ce cas-là « profiter » d’un petit peu d’insulte… Si je jette un regard vers mon enfance et adolescence, je n’arrive pas à voir un moment où je n’ai pas improvisé. C’était cette impulsion intuitive propre à chaque enfant de briser le jouet pour voir ce qu’il y a à l’intérieur et « comment ça marche ». Aussitôt qu’une pièce de musique m’intriguait, je commençais à improviser en essayant « d’imiter » le compositeur.  Je ne savais pas pourquoi je le faisais,  je n’avais aucun but pratique, j’avais juste envie de le faire. Plus tard, les adultes autour de moi m’ont conseillé de ne pas perdre mon temps avec des bêtises pareilles et de préserver mon énergie pour des choses sérieuses. Je n’ai pas suivi leur conseil…

Etant donné que l’improvisation en tant qu’acte musical a été injustement exclue de la sphère de la musique classique pendant plus d’un siècle bien que ce soit une des formes de création musicale les plus spontanées, ouvertes et imprévisibles, j’ai récemment décidé de réunir toutes mes expériences dans le domaine du jeu instrumental, de l’improvisation, de la composition, etc., et de commencer à les introduire dans les salles de concert. Je suis conscient de la difficulté à donner une appellation à ce type d’évènement musical, d’autant plus que ses paramètres esthétiques sont situés à la frontière du jazz et de la musique classique contemporaine. Pourtant je suis profondément convaincu qu’une forme libre et spontanée de faire de la musique, malgré son imprévisibilité et son « incohérence idéologique » (ou justement à cause de ça) devient extrêmement importante aujourd’hui, pendant que l’hyperspécialisation commence à fragmenter dangereusement l’art musical. L’improvisation est une manière de rassembler différentes couches de la créativité musicale : théorie, composition, jeu instrumental, qui actuellement ont tendance à se séparer de plus en plus. Glenn Gould parle d’un « grand désastre pour la musique» quand il fait référence à la séparation drastique entre composition et jeu instrumental qui a eu lieu au 20ème siècle. Dans mon expérience pédagogique, j’ai souvent eu des cas où les étudiants exprimaient de grandes difficultés techniques parce qu’ils ne comprenaient pas la structure compositionnelle de l’œuvre qu’ils jouaient. Après avoir improvisé sur les problèmes en question, ils commençaient à « voir » (ou plutôt à entendre) la structure harmonique, rythmique ou formelle de la phrase et à organiser intuitivement leurs approches techniques d’une façon plus cohérente. N’oublions pas que l’improvisation a été la manière principale de faire de la musique pendant très longtemps, sur laquelle l’éducation musicale était basée jusqu’à la fin du 19ème siècle, que presque tous les grands compositeurs et pianistes du passé étaient de grands improvisateurs et que, malgré tous les préjugés qu’on pourraient avoir à son égard, dès qu’on entend une improvisation inspirée, on reste toujours intrigué et fasciné. Peut-être aujourd’hui notre réticence à apprécier la vraie valeur de l’improvisation en tant qu’acte musical est plus dictée par des préjugés sociaux ou par un endoctrinement pseudo-culturel que par des raisons purement artistiques ou musicales. Et peut-être qu’on peut prendre plus de plaisir qu’on ne le pense dans le contact avec cette forme singulière de « musique du hasard », « composition en temps réel », « musique libre » ou peu importe quelle appellation vous lui donnerez.


Boyan Vodenitcharov, 2013 (extrait de "Random Patterns")


Quelques commentaires sur le programme :

Bunte Blätter op.99 (Robert Schumann )

Vers le milieu de sa vie, Schumann s’est intéressé d’avantage aux formations instrumentales plus étoffées. Il a toutefois aussi écrit, entre 1836 et 1849, sans les publier d’abord, des morceaux séparés pour piano solo. Très différentes du point de vue de leur caractère, il semble exclu qu’un lien interne ait été recherché entre ces différentes pièces. Après le  succès rencontré par l’«Album pour la jeunesse» il a en repris certaines  pour les assembler  dans un album. Initialement, le recueil devait recevoir le titre de «Spreu» (ivraie), mais l’éditeur ne s’est pas laissé convaincre. Finalement une partie des 34 pièces au total fut publiée sous le titre de «Bunte Blätter» et devint vite un franc succès.

L’étoile sombre de Kobe (Claude Ledoux)

Troisième pièce du cycle Courbes d’Etoiles I – VI  (a work in progress) »L’Etoile Sombre De Kobe » fut écrite pour ma compagne actuelle, Nao Momitani (originaire de Kobe), en écho à la disparition de sa mère. Lieu où la courbe n’égrène plus que quelques atomes bouleversés ci et là par quelques poussières d’une étoile dont ne reste que le souvenir. Œuvre essentiellement expressive dans son dépouillement, à l’instar d’un jardin Zen japonais dont les pierres éparses renvoient à cette unique étoile intérieure qu’est notre âme.

L’oeuvre fut créée par sa dédicataire lors d’un concert monographique donné au Musée d’Art Contemporain de Liège (MAMAC) en 2001.

Esquisse pour piano (Benoît Mernier, 2002)

La première version de cette courte pièce a été écrite pour l’Académie d’Eté de Wallonie 2002. Elle connaît d’autres variantes pour Violon et piano et pour Clarinette et Piano. Par la suite certains éléments ont été amplifiés.

Le titre fait référence à l’idée d’improvisation. La pièce fait en effet appel d’une part à une série de gestes assez virtuoses telle la cadence centrale mais également à un travail sur le timbre et l’articulation. Le matériau de départ est très simple : il oppose et relie à la fois deux idées différentes. Pour commencer un monde plutôt diatonique à travers quelques échelles modales qui se développent dans des couleurs en dégradé ; ensuite un glissement à travers des lignes chromatiques qui permettent l’accélération vers la cadence centrale. Pour terminer : retour à certains éléments du début mais aussi le souvenir des éléments plus tendus de la partie centrale, cette fois, dans un climat suspendu.

La pièce a été créée par Eliane Reyes à qui elle est dédiée.