Crossing Edges

Sous titre
pour erhu et orchestre
Catégorie
Instrument soliste et orchestre
2014
Compositeur(s)
Instruments
Erhu
Orchestre
Durée
20 min.
Effectif
erhu (vièle chinoise) solo et orchestre
Comment

Crossing Edges

Pour erhu et orchestre – 2014

A Lu Yiwen

Si je devais caractériser ma musique, je la définirais bien plus par ses coordonnées que par une position esthétique catégorique ; dans un espace tridimentionnel, quelque part à la croisée de cartes géographiques fragmentées, placée entre le passé et le futur, et plus encore, située sur l'axe qui relie notre matérialité la plus palpable à ce besoin intangible, humain, de spiritualité. Crossing Edges, terme anglais définissant ces bords qui se croisent et se superposent dans les représentations en deux dimensions de figures géométriques dans l’espace, nous parle de tout cela en faisant écho à ce voyage imaginaire en forme d'oscillation entre la Chine rêvée et l'Occident. En commençant par ce désir intense de partager cet incroyable bonheur d'avoir entendu le erhu (prononcer eû-fu) de Lu Yiwen lors d'un concert symphonique proposé en guise de pause musicale lors de master classes de composition données l'année dernière à Shanghai. Sonorités magiques qui semblaient rejoindre un autre élan moteur, celui né des grandes discussions passionnées avec mon amie peintre de longue date Liu Shu-Tsin, à propos de la transpiration de la pensée chinoise dans la représentation graphique. Finalement, ce sera une de ses peintures récentes, Le juste milieu, qui me donnera l'idée formelle de ces Crossing Edges. Œuvre picturale colorée, ce triptyque se situe entre abstraction et figuration. Il participe de cet esprit oriental qui joue des oppositions sans jamais les réduire aux rôles d'antagonistes - les fameux yin et yang, opposés mais tellement complémentaires. Son œuvre fait dériver la figure de la calligraphie. Car - surprise ! - de l'épaisseur des traits d'un idéogramme émergent des villages, des paysages montagneux jaillissant de la brume, qui appellent à l'élévation de l'âme.

 

Ce Juste milieu fait d'ailleurs référence à un signe qui résume à lui seul les espaces définis en préambule de ces lignes : [voir le signe]. Un "Intérieur" qui tourne sur lui-même et qui ne peux qu'exister que parce qu'il y a un extérieur qui le dynamise, le ciel et la terre reliés par cette ligne centrale au "milieu" du signe. Musicalement parlant, cela se traduira par deux états expressifs qui ne cesseront d'alterner tout au long de l'œuvre en subissant de multiples altérations et qui, d'opposés, finiront par se déduire mutuellement. L'un, mélodique (horizontal et cyclique), tendre et langoureux, faisant résonance aux musiques traditionnelles chinoises, l'autre, vivace et dynamique, mettant en évidence les qualités du erhu à travers une progression d'harmonies (verticales) dérivées de l'analyse acoustique du timbre de l'instrument - une constante dans ma musique qui consiste à faire entendre via l'orchestre des accords qui en réalité existent de manière microscopique dans un son d'instrument et que l'on appelle "partiels" ou "harmoniques naturelles".

 

Du reste, la pensée musicale chinoise m'a bouleversé à plus d'un titre ; et m'a aidé à mieux me situer. De fait, en Occident, nous parlons beaucoup de "métissage" ou de Cross-over à propos de ces rencontres de cultures musicales différentes. Depuis de nombreuses années, malgré mon intérêt pour les musiques du monde et leur implication dans mon œuvre, j'avais quelques difficultés avec ces définitions catégoriques car je ne percevais pas exactement ma musique sous l'angle de la mixture - avec ses implications sous-entendues d'un certaine domination de la culture occidentale -, mais plutôt sous l'appellation d'une Altra Cosa, une chose autre et altérée. Les compositeurs chinois, finalement m'offriront avec bonheur leur solution, eux qui réfutent cette notion de mixture pour lui substituer celle de "résonance", figurée, mais aussi dans son sens acoustique, lorsque deux sons différents résonnent dans un même lieu réverbérant et finissent par s'unir et s'anéantir dans une unique magie sonore. Fi de la relation dominant-dominé ! Demeure la fusion parfaite. La métaphore est magnifique et je l'ai adoptée aujourd'hui. Car ce lieu réverbérant n'est autre que mon imaginaire.

Ce sont donc ces "résonances" de la Chine et de mes sonorités occidentales, que j'aimerais vous offrir au gré de ces Crossing Edges. Dans l'espoir d'un nouveau souffle de liberté…

L’œuvre est une commande de l’Orchestre Royal Philharmonique de Liège. Elle a été créée dans le cadre du festival « Les orientales » le 23 février 2014 - date d’anniversaire du compositeur ! - par Lu Yiwen, erhu, l’orchestre étant placé sous la direction de Christian Arming.

 

Claude LEDOUX

 

Shu-Tsin LIU - Le juste millieu 

Date de création